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Li So

Le potager de mon pere

 « Vivre en harmonie avec la nature n’est pas à la portée de chacun. Parcourir des centaines de km pour faire une balade en forêt est méritoire et l’illusion de communiquer avec la nature est éphémère. C’est à l’aune du quotidien que l’on mesure l’attachement de l’homme à ses racines, au milieu qui l’entoure, à l’espace végétal de son environnement.   

    La passion pour la nature se confond avec les gestes et les souvenirs de l’enfance. Regarder et aider son père, bêcher, préparer la terre pour les semis, récolter les premières carottes, cueillir les haricots verts, nettoyer manuellement les rangs de pommes de terre des doryphores gloutons et quand vient la récolte, faire cuire quelques tubercules  à la cendre en brûlant les fanes – souvenir inoubliable d’une saveur jamais retrouvée – cueillir les choux qui seront hachés, salés et foulés dans de grandes jarres en grès pour les choucroutes hivernales…Mille petits gestes qui  imprègnent le subconscient et laissent une trace indélébile.

    La nature, c’est aussi accompagner son grand-père bûcheron pendant une semaine en pleine forêt, écouter les geais moqueurs, les pinsons et les rossignols, surprendre une biche et son faon au détour d’un chemin, un renard en maraude, écouter le bruit sec et régulier de la cognée prélude à la chute inéluctable d’un roi de la forêt, se réchauffer auprès d’un feu de branchages, se régaler de mûres sauvages ou de myrtilles et rentrer à la tombée de la nuit, éreintés, le visage rougi par l’air vif.

    La nature, c’est aussi se découvrir, à douze ans, une passion pour la botanique, acheter une flore et se constituer un véritable herbier qui sera consciencieusement étiqueté. Des journées à parcourir, solitaire, les bois, les champs, les bords des rivières. Un herbier qui restera comme une autobiographie de l’enfance, une séquelle bienfaisante pour l’avenir.

    On ne perd jamais ses racines et les passions qui ont enthousiasmé notre enfance. La vie vous en éloigne trop souvent et il faut parfois attendre les cheveux blancs pour ranimer une flamme qui ne s’est jamais éteinte. C’est au crépuscule de la vie que cet attachement viscéral renaît, lorsque le pragmatisme l’emporte sur la subordination des individus aux contraintes d’une société de plus en plus déshumanisée et délétère.

    Un plaisir, le bonheur indicible de replonger ses mains dans la glaise, retrouver son potager et les gestes augustes du jardinier… L’hiver avec la taille des fruitiers, la préparation du compost, le choix des plantations. Dès février, les semis de tomates qui enchanteront toute la famille durant l’été, les planches de pommes de terre primeurs et avec l’arrivée du printemps et la douceur, radis, salades, carottes, haricots verts, cresson, persil et autres aromates, poivrons, aubergines, courgettes….

    Une attention de tous les jours pour s’émerveiller du renouveau perpétuel de la nature. Le bonheur simple de cueillir une salade et la manger dans la demi-heure qui suit, savourer des légumes sans intrants chimiques, croquer une délicieuse pomme gala ou une abate sans aucun traitement, préparer une salade de tomates olivette avec un oignon rouge et de l’aneth fraîchement cueilli, une cuillère d’huile d’olive et une pointe de vinaigre de Xérès, préparer des coulis, faire sécher des tomates pour des hors d’œuvre en hiver, des fruits en bocaux, des ratatouilles…

    Vivre avec son jardin, son potager, c’est être hors du temps, hors d’une société qui éclipse les valeurs naturelles de l’homme, qui l’enferme dans un carcan de technologies contraignantes. C’est une thérapie contre l’ennui, la solitude, un remède sans effets secondaires contre l’angoisse et la vieillesse, un bonheur de tous les jours… »

Texte de mon Père

     Nagori en japonais évoque « la nostalgie de la saison qui vient de nous quitter », selon les mots de la poétesse Ryoko Sekiguchi.

     L’origine du mot désigne ce qui reste des vagues, l’empreinte laissée par les vagues après qu’elles se sont retirées de la plage, ces sillons immatériels et les algues, coquillages, galets abandonnés sur leur passage…Un « ciel de nagori » est le ciel tel qu’on le voit lorsque l’on quitte quelqu’un à regret. Associé aux fruits, aux légumes, « le goût de nagori annonce déjà le départ imminent du fruit, jusqu’aux retrouvailles l’année suivante. On le déguste précieusement, comme si l’on voulait faire durer le goût le plus longtemps possible dans le palais. Puis peu à peu, le goût se dissipe, comme le son de la cloche. On accompagne son départ, on sent que le fruit, avec son goût, s’est dispersé dans notre propre corps. On reste un instant immobile, comme pour vérifier qu’en se quittant, on s’est aussi unis ».

    

     Alors que je savais mon père malade, et ignorais le temps qu’il nous restait à partager, je suis partie dans un voyage. Une quête, à hauteur de potager…J’ai erré des heures dans ce petit lopin, des jours et des saisons. J’ai cherché, regardé, attendu…J’ai fait des rencontres, des découvertes. J’ai oublié le temps… Ce lieu si proche, si quotidien, si connu et si simple est devenu infini, condensant l’essence d’une présence et révélant les liens qui tissent les racines de nos vies.

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